[Photo archives Vincent Éthier, fournie par EOTTM]
Ça fait un bail, n’est-ce pas? Aussi bien dire une éternité.
Une éternité que nous n’avons pas eu l’occasion de discuter de votre sport favori sur cette humble tribune. Évidemment, Ringside s’est retrouvé dans le même bateau sanitaire que tout le monde. Difficile de jaser boxe quand tous les galas sont annulés et que la planète sports ne tourne presque plus. Et avec les aléas de la vie personnelle et familiale en cette ère de confinement? Alors là…
Et malheureusement, à voir comment évoluent les choses à l’heure actuelle, ça pourrait être encore très long avant qu’on se remette à parler de combats de boxe au Québec.
La nouvelle, vous la connaissez. Elle nous a d’abord été relayée par Eye of the Tiger Management (EOTTM) et son président, Camille Estephan. La Direction de la santé publique du Québec a l’intention de maintenir l’interdiction des sports de combat professionnels jusqu’à ce qu’un vaccin contre la COVID-19 soit découvert.
Rappelons ici les grandes lignes du fil des événements. EOTTM avait prévu un gala tenu à huis clos le 18 juillet, avant de le repousser au 25. Dès la fin mai, l’organisation avait soumis un protocole sanitaire détaillé au ministère de la Santé, à la Santé publique et à la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ). Toutes les parties semblaient satisfaites par le document.
Mais pendant les semaines qui ont suivi, aucun signe de vie de la part de Québec. Juste une très longue attente… qui a pris fin lundi avec un retentissant coup de masse. Dans un courriel signé par le directeur national de santé publique lui-même, le Dr Horacio Arruda, EOTTM a appris qu’il n’y aurait pas de boxe sans vaccin.
Et il est pour quand, ce vaccin? Dans un an? Deux? Plus encore? Personne ne le sait, bien sûr.
L’industrie menacée
«Dictatorial», «très injuste», «discriminatoire»: Camille Estephan ne mâchait pas ses mots pour commenter la décision de la Santé publique lorsque joint par Ringside. Selon lui, «il y a anguille sous roche» dans ce refus d’autoriser les combats professionnels, offert «sans explications», précise-t-il.
«[La boxe] est le seul secteur où le déconfinement est tributaire d’un vaccin, a-t-il fait valoir. Il semble y avoir un préjugé de leur part. Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas logiques là-dedans.
«On déconfine le football, le soccer, le hockey… Il y a 40 gars qui se rentrent dedans au football. Ça ne représente certainement pas moins de risques que deux gars dans un ring.»
-Camille Estephan
À ses yeux, le maintien de l’interdiction pourrait carrément «tuer l’industrie» pugilistique de la province. Et pas seulement en raison des pertes de revenu encourues.
«Ça va couper l’herbe sous le pied de tout jeune boxeur qui rêve de devenir le prochain David Lemieux, Jean Pascal ou même Georges St-Pierre. […] Ça va tuer le sport. Les jeunes boxeurs vont vouloir faire autre chose», estime-t-il.
Bien que le coup soit difficile à encaisser, Estephan refuse de baisser les bras. Ses nombreuses sorties dans les médias et sur les réseaux sociaux au cours des derniers jours témoignent clairement de ce désir de convaincre la Santé publique de revenir sur sa décision.
«On va continuer à pousser. On n’abandonne pas. Je n’abandonne jamais», prévient-il.
«Ignorance» et «désintéressement»

En fin de journée mercredi, ce fut au tour du Groupe Yvon Michel de réagir. Une réaction un peu tardive, disons-le, alors que le promoteur se distinguait jusque là par son mutisme total sur la question. Mais bon, au moins, elle a fini par venir.
Sans surprise, donc, GYM n’en revient pas non plus des intentions de la Santé publique. À l’instar d’EOTTM, l’entreprise évoque la notion d’injustice pour qualifier le verdict gouvernemental.
«Nous avons malheureusement la pénible impression que la position actuelle du ministère relève de l’ignorance et du total désintéressement de l’industrie prolifique de la boxe professionnelle d’ici ainsi que de ses artisans, ses athlètes, ses gérants, ses entraîneurs et ses promoteurs», a ajouté GYM dans un communiqué
Depuis, d’autres voix se sont élevées à leur tour pour protester contre la décision. Marc Ramsay, Marie-Ève Dicaire et Mikaël Zewski, pour ne nommer que ceux-là, ont tour à tour souligné à quel point une interdiction prolongée de la boxe serait catastrophique pour leur sport.
Une alliance nécessaire
Bien franchement, il est assez difficile de suivre le raisonnement de la Santé publique ici. Et pas seulement parce qu’elle n’a pas précisé pourquoi elle voulait à tout prix attendre l’avènement d’un vaccin avant de donner sa bénédiction à la boxe.
Aux États-Unis, Top Rank présente depuis quelques semaines des cartes de boxe organisées dans un cadre sanitaire des plus stricts. Kim Clavel sera d’ailleurs de celle du 21 juillet, à Las Vegas. Jusqu’ici, quelques combats ont dû être annulés parce qu’un membre de l’entourage d’un des boxeurs impliqués avait été déclaré positif pour la COVID-19, mais sans plus.
Aux dernières nouvelles, nos voisins du Sud ne sont pourtant pas guéris de la pandémie – bien au contraire. Est-ce qu’on essaie de nous faire croire que nous ne serions pas en mesure d’organiser de tels galas avec la même rigueur sanitaire? Allons, ça ne tient pas la route. Surtout quand on tient compte de la vaste expertise de la RACJ, reconnue mondialement, pour veiller au bon déroulement des combats.
Il doit y avoir une autre raison qui explique la décision du Dr Arruda et de son équipe. Une raison plus subtile, plus profonde.
Un préjugé défavorable envers la boxe? Une méconnaissance de ce sport? Quelque chose d’autre? Allez savoir…
Camille Estephan confiait à Ringside qu’il souhaite mettre sur pied un comité formé de divers intervenants du milieu pour démontrer aux autorités sanitaires que la boxe, une fois déconfinée, ne serait pas plus dangereuse que d’autres secteurs d’activités, tels que les cinémas ou les restaurants.
Non seulement un tel comité serait important dans les circonstances, il est tout simplement essentiel.
Le Québec compte deux grands promoteurs de boxe: Estephan et Michel. Ils ne seront jamais les plus grands amis du monde, on le sait tous. Mais cette fois, ils n’ont pas le choix de travailler main dans la main. Ce n’est pas simplement pour la survie de leurs entreprises respectives qu’ils doivent se battre: c’est pour sauver leur industrie toute entière.
Tous les boxeurs, entraîneurs et autres gens de boxe, peu importe leur fonction ou allégeance, doivent se faire entendre eux aussi. Jeunes ou moins jeunes, actifs ou retraités, tout le monde doit y mettre du sien. La moindre fissure dans l’unité du groupe pourrait lui être fatale.
Et vous croyez que seules les personnalités directement impliquées dans le sport profiteraient d’un changement d’avis de Québec? Que faites-vous du Casino de Montréal et des amphithéâtres qui engrangent de précieux revenus lors de chaque gala? Des restaurants, bars et autres commerces avoisinants qui profitent de la clientèle que la boxe leur amène, en ville ou en région?
Bien sûr que dans l’immédiat, les galas auraient lieu à huis clos. Bien sûr que les événements devant public, même réduit, ne sont pas pour tout de suite. On s’entend là-dessus. N’empêche, les retombées économiques générées par une soirée de boxe vont bien au-delà de l’arène. Les autorités semblent l’avoir oublié, ou du moins, ne s’en rendent pas compte.
La boxe nous a toujours permis d’assister à des guerres de toutes sortes: guerre dans le ring, guerre de mots, guerre contractuelle… choisissez celle que vous voulez. Cette fois, c’est une nouvelle guerre qui se pointe à l’horizon. Mais celle-ci concerne tout le monde pugilistique. Une guerre pour garder son gagne-pain, rien de moins.
Vous êtes habitués de vous battre l’un contre l’autre? Le temps est venu de vous battre côte à côte.