[Photo tirée du compte Instagram de Lucian Bute]
BILLET – Lucian Bute avait à peine commencé à parler mercredi que déjà, les émotions lui nouaient la gorge. Pendant qu’un diaporama des meilleurs moments de sa carrière défilait derrière lui, il cherchait les mots qui allaient le mener, entre deux sanglots, à nous confirmer ce qu’on savait tous depuis un moment : qu’il raccrochait les gants pour mettre un terme à une brillante carrière de 15 ans en boxe professionnelle.
Avant d’en arriver à cette déclaration officielle et solennelle, celle qui allait finalement le faire craquer, Bute avait évidemment pris soin de procéder aux remerciements d’usage destinés à sa famille ainsi qu’aux entraîneurs, promoteurs et autres intervenants qui l’ont suivi pendant ce temps. Mais c’est d’abord le public qu’il a tenu à remercier.
À plusieurs reprises au cours de sa poignante allocution, l’ex-champion IBF des super-moyens aura exprimé sa gratitude aux nombreux partisans qui l’ont épaulé tout au long de son parcours. De son premier combat au Centre Bell en 2003 jusqu’à l’apogée de sa gloire, en passant par son amère défaite contre Carl Froch en 2012 et son ultime tour de piste en 2017, contre Eleider Alvarez à Québec.
«Quel souvenir j’ai avec vous. Vous étiez toujours là, de plus en plus nombreux. Il y avait 2000 personnes au début et le Centre Bell était plein à la fin. »
-Lucian Bute
Il n’a pas tort, loin de là. Dans ses meilleures années, le Roumain pouvait attirer sans problème 16 000 personnes dans l’amphithéâtre. Nommez donc un boxeur québécois capable d’en faire autant à l’heure actuelle.
Cela illustre à quel point la relation entre Bute et le Québec fut une grande histoire d’amour comme on en voit de moins en moins dans le sport professionnel.
« Il a été le boxeur le plus rassembleur et certainement le plus aimé », a décrit le promoteur Yvon Michel, qui a convaincu Bute de s’établir chez nous à l’époque où il dirigeait Interbox.
C’est non sans fierté que Bute a raconté que la frustration de ne pouvoir accorder une entrevue en français à ses débuts l’a convaincu de s’inscrire à des cours du soir pour apprendre la langue, en marge de son entraînement durant la journée. Et le public, touché par l’initiative, a toujours chaleureusement récompensé ses efforts d’intégration. On sait que ce ne sont pas tous les athlètes qui acceptent d’en faire autant.
Bute aurait facilement pu s’enivrer du succès et de la gloire, se laisser corrompre par l’arrogance et la suffisance. C’est tout l’inverse qui s’est produit. Il est demeuré humble et affable avec tout le monde en dépit des bourses et de la ceinture. Un alliage parfait de talent et d’élégance. De puissance et de grâce. À bien des égards, Lucian Bute fut à la boxe ce que Jean Béliveau aura été au hockey. Et Dieu sait que ce genre d’individu ne court pas les rues.
« J’étais moi-même. C’était ma personnalité. Je n’ai jamais refusé [de parler à] personne. J’ai toujours été respectueux, honnête et sincère. Je pense que ça a touché les Québécois. »
-Lucian Bute
Ses détracteurs, pour autant qu’ils existent, diront que Bute avait perdu de sa superbe ces dernières années, soulignant qu’il s’est incliné dans quatre de ses cinq derniers combats. Oui, et alors? Muhammad Ali a subi la défaite trois fois à ses quatre dernières sorties. Son prestige a-t-il été terni? On ne compare pas ici Bute à Ali, on s’entend, mais vous comprenez le principe. Un athlète doit être jugé sur l’ensemble de sa carrière, pas seulement la période qui fait notre affaire.
Un confrère faisait d’ailleurs remarquer que Bute a subi toutes ses défaites devant des champions du monde : Froch, Jean Pascal, James DeGale, Badou Jack et Alvarez. Il y a de pires taches à avoir dans son CV, vous en conviendrez.
« [La défaite contre Froch] a été le début de la fin, a reconnu Bute. Je n’ai jamais été comme avant par la suite. Ç’a été dur. Ça m’a fait mal. Je pensais pouvoir passer par-dessus. »
Peut-être différent sur le plan pugilistique. Mais même ce cruel revers n’aura pas réussi à altérer l’essence de l’homme et l’affection réciproque entre lui et son public.
Malgré son statut de nouveau retraité, Bute n’a pas l’intention de laisser tomber la boxe. Œuvrant déjà comme agent des frères Dario et Bruno Bredicean, il entend continuer de s’impliquer dans le développement du sport au Québec, d’une façon ou d’une autre. Bien sûr, il prendra aussi le temps de s’occuper de ses deux jeunes enfants. Ceux qui, ultimement, l’ont convaincu que l’heure était venue de ranger les gants pour de bon.
On ne reverra plus Bute dans un ring. Mais tous les bons souvenirs, eux, vont demeurer bien ancrés dans nos mémoires. Et ils sont nombreux. Car rarement aura-t-on vu un athlète, à plus forte raison un boxeur, faire sien un peuple qui lui était alors étranger et le fédérer derrière lui de manière aussi lumineuse.
« On pensait qu’il serait champion du monde, mais il a été plus grand que son sport », a résumé avec émotion l’entraîneur Stéphan Larouche, qui fut aux côtés de Bute pour les grandes occasions.
Bonne retraite, Lucian. Profites-en bien. Et merci pour tout.